« So swift, silent, and furtive were his movements, like those of a trained bloodhound picking out a scent, that I could not but think what a terrible criminal he would have made had he turned his energy and sagacity against the law instead of exerting them in its defence. »
[ John H. Watson - The Sign of Four
Si vous trouvez ce carnet,
merci de le rapporter au Docteur John H. Watson,
résidant au 221b Baker Street
→→Lundi 9 Octobre 1882Avant de commencer, je dois raconter comment s'est passée ma toute première rencontre avec Sherlock Holmes qui remonte au 23 Décembre dernier, au Colney Hatch Lunatic Asylum(1). Il ne faisait aucun doute que Sherlock Holmes était parfaitement fou, mais j'avais remarqué durant notre entretient qu'il était également intelligent et rusé. Qualités qui ne lui étaient pas reconnues par les policiers et les médecins, puisqu'en effet, Sherlock Holmes était réputé pour son silence semblable à celui d'un cadavre, au point que certains le prenaient pour un illettré des plus incapables.
Juste avant d'atteindre sa cellule, son médecin m'avait prévenu qu'il n'avait probablement plus de langue et que sa lucidité était aussi douteuse que sa conscience.
Mon intention première était de le soumettre à un bref questionnaire pour connaître les motifs qui l'avaient poussé à accomplir des meurtres aussi sauvages. La capacité de raisonnement est souvent remise en cause chez les tueurs, car la plupart des doctrines les considère comme des vraies bêtes sans une once de réflexion, pourtant, Holmes renversait toutes leurs hypothèses.
C'est un homme fort singulier déjà dans son apparence ; très grand et incroyablement fin, il ressemblait à un fantôme émacié. Fantôme à cause de la camisole de force blanche qui enlaçait son buste et par sa peau de craie. Si d'épaisses mèches noires barraient son front, il semblait être un patient assez bien traité. Son calme devait lui apporter ce privilège. Ses yeux, en revanche, exprimaient une vivacité inquiétante, contraire au reste de son corps ; à quoi bon utiliser les mots lorsqu'on avait un regard si expressif ?
Lorsque je l'ai salué, il s'est contenté d'un simple signe de tête. À peine perceptible et si discret que je me demande encore s'il m'était adressé.
-Monsieur Sherlock Holmes, je suis le docteur John Watson, je suis venu vous poser quelques questions concernant vos meurtres pour en comprendre le sens, s'il y a en a un.
Son sourire mesquin persistait mais l'homme ne réagit pas.
-Accepteriez-vous de me donner les réponses que j'attends ? Vous avez bien sûr le droit de refuser, je ne vous oblige à rien.
Quand j'eus achevé ma phrase, il prit une inspiration qui me poussa vers un élan d'espoir.
-C'est la première fois, depuis que je suis enfermé entre ces murs, que l'on me propose le choix. C'est un véritable honneur.
Sa voix était posée, traduisant une confiance totale en sa personne. J'étais parti de Baker Street avec si peu d'assurance que ce début prometteur me rendait plus confiant. Je ne voulais rien gaspiller :
-Me direz-vous alors pourquoi vous en êtes-vous pris à ces femmes ?
-Cela ne ressemble pas à une forme de politesse simulée pour me faire parler ; vous avez adopté le même ton avec l'infirmière dans le couloir tout à l'heure… Une gentille demoiselle mais sotte comme toutes ses semblables.
-Pardon, Monsieur Holmes, mais cela ne répond pas à ma question.
-Au contraire ; vous êtes le premier depuis des mois à qui je rends une vraie réponse.
Répliqua-t-il. Je ne compris qu'un peu plus tard qu'il avait révélé une tendance misogyne ; peu importe de quelle femme il s'agissait, Holmes les voyait toutes comme des êtres dénudés de réflexion et qui n'avaient un rôle que purement biologique au sein de notre monde.
Qu'il me parle autant consistait un véritable privilège ; j'en avais conscience, bien qu'il semblait y avoir une contrepartie…
-Docteur Watson, j'aimerais beaucoup discuter avec vous, mais cette camisole me tord les bras et les épaules et il n'est pas aisé de causer convenablement dans ces conditions. Voudriez-vous bien appeler l'infirmière ? Bien qu'idiote, elle est adorable.
J'exécutai sa demande. Par chance, l'infirmière accepta tout en demandant à un gardien de l'accompagner dans la cellule. Ces deux personnes avaient toutefois du mal à croire que ce patient avait desserré les lèvres pour m'adresser la parole. Holmes ne reprit part au dialogue que lorsque les deux employés quittèrent le couloir, à l'abri dans le secret.
J'étais de nouveau face au tueur et je pouvais alors voir ses doigts agiles se mouvoir pour se dégourdir. Je réprimais un frisson en songeant à ce que ces mains effilées étaient capables d'accomplir. Il m'observa longuement avant de me démontrer pour la première fois son remarquable sens de déduction.
-Vous avez un charme certain, Docteur Watson, les femmes doivent tourner autour de vous en exerçant leurs ridicules parades comme des abeilles le ferait pour du miel. Pourtant, vous flânez dans un asile à l'approche de Noël au lieu de rester chez vous et vous ne portez pas d'anneau à votre annulaire, pas même une marque. Pourquoi ?…
Je tentais alors de le couper ; je me doutais qu'il tentait de percer à jour ma vie privée et cela pouvait se révéler dangereux. Mais il poursuivait ses réflexions en m'ignorant.
-Pourquoi un homme beau comme vous, et jeune de surcroît, est encore célibataire ? Votre condition est donc si catastrophique ? Je l'avais remarqué à votre parfum aux tons de bergamote, eau de Cologne n'est-ce-pas ? Certains vous complimenteront pour vos goûts raffinés, mais pour ma part, je trouve cette odeur trop banale et bon-marché. Oh, mais j'oubliais votre jambe blessée qui ne doit pas vous aider à remonter la pente… Un médecin infirme, quelle ironie… Que vous est-il arrivé ?
Murmurait-il songeur. Ce monologue me frustrait de plus en plus et je tentais d'y mettre un terme, mais il leva la main en signe de silence et enchaîna alors rapidement avec une lueur révélatrice dans le regard.
-Je vois ; vous avez supporté la chaleur d'Afghanistan en tant que militaire si j'en juge votre corpulence, les médecins n'ont jamais été aussi minces et rares sont ceux qui ont votre teint légèrement hâlé. Et cette autorité digne des soldats, vous revenez tout juste de la guerre, donc d'Afghanistan. Mais votre jambe fut blessée, vous rendant inutile, tel un fardeau, sur le champ de bataille. On vous a renvoyé en Angleterre avec un salaire bien trop maigre pour vos efforts, sans compter que les revenus d'un jeune docteur ne sont pas très brillants. Et à voir votre visage décomposé, j'ai sûrement raison.
Acheva-t-il, visiblement fier de lui. Il s'approcha des barreaux de sa cellule, ses longues mains agrippèrent les tiges de métal, bien que solides, je redoutais qu'elles disparaissent, me laissant alors comme une proie face à un tigre de nouveau libre.
-Docteur Watson, votre expérience à la guerre vous aide-t-elle à faire face à la folie qui ronge les tueurs ou mes crimes sont plus ignobles que les horreurs que vous avez vu en Afghanistan ?
Je rougissais de honte ; Sherlock Holmes avait touché un certain point sensible. Et son regard d'acier méprisant attendait que je fuie sa présence comme mes collègues peureux l'avaient fait. Mais je ne voulais pas lui offrir ce plaisir ; je suis resté à ma place et j'ai participé à ce jeu morbide, tout en sachant les risques que je pouvais encourir.
-Maintenant que vous savez quasiment tout de moi, monsieur Holmes, pourquoi ne pas me parler de vous ?
-J'ai deviné votre identité juste en vous observant, faîtes-en autant, docteur Watson, dîtes-moi ce que vous voyez dans cette cage.
Je l'observais durant quelques instants avant de me lancer ;
-Je vois un homme à qui sa folie l'a privé de liberté, à présent il a pour seule compagne la solitude.
-Allons, allons, mon cher docteur, c'est une déduction des plus simples ! Essayez de m'impressionner ; vous êtes le seul dans cet hôpital à connaître le son de ma voix, prouvez que vous méritez ce privilège.
Je me rendais peu à peu compte que ce n'était pas lui qui était soumis à un interrogatoire, mais moi : j'étais pris sous sa coupe, le laissant me tester. Pourtant, je ne pouvais pas reculer maintenant ; je devais l'étonner, le surprendre pour monter dans son estime et gagner un peu de respect. Mon regard se porta sur ses mains ; fines et délicates, semblables à celles d'un pianiste.
-Vous jouez du piano…
-Non.
Répondit-il en tiquant brièvement. Quand je lui demandais s'il jouait bien d'un instrument, il acquiesça d'un signe de tête.
-Du violon ?
-Correct, mais vous tirez des conclusions au hasard, docteur.
En effet, le violon était le second instrument qui m'était venu en tête. Je me replongeai dans la contemplation, espérant le satisfaire cette fois. Je regardai alors ses avant-bras qui portaient plusieurs cicatrices discrètes et assez vieilles, effacées par le temps.
-Ces cicatrices sur vos bras étaient là bien avant votre arrivée à l'asile puisque qu'elles ne semblent pas récentes… Plusieurs points discrets regroupés sur l'emplacement des veines, il s'agit donc d'une seringue. Une addiction aux drogues ?
-Vous voyez que ce n'est pas si difficile. Inutile de sortir votre questionnaire préparé avec soin, docteur, je suis certain que vous serez en mesure d'y répondre vous-même. Mais je suis las de parler, repassez un autre jour quand mon humeur cordiale sera de nouveau au rendez-vous.
Sur ces mots, il s'éclipsa jusqu'à son lit et ignora mes dernières questions. Je n'avais donc pas d'autres choix que d'accepter. J'avoue que Sherlock Holmes me hanta durant le réveillon que je passais effectivement seul, étant donné que je n'avais ni ami, ni famille à Londres. J'ai même tenté de donner quelques réponses à mes propres questions mais sans succès ; était-il sous l'influence de la drogue lors de ces meurtres ? J'en doutais.
(1) Le Colney Hatch Lunatic Asylum, ou le Friern Hospital, était un asile qui se trouvait au Nord de Londres. Il était en activité de 1851 à 1993.
(2) Tous les noms sont empruntés à des victimes du tueur en série Albert Fish.