Dans le laboratoire, la musique était assourdissante. C'était toujours le cas quand le jeune homme travaillait seul : techno, rock ou pop, les styles avaient beau varié, le son lui, restait toujours au même niveau. C'est à dire beaucoup trop fort pour qu'il puisse se le permettre quand ses collègues étaient là, aussi sans-gêne fut-il. Penché sur son microscope et excepté ce détail bruyant, Ben était on-ne-peut-plus-sage. La blouse blanche enfilée par dessus son tee-shirt à la mode, les manches retroussées aux coudes, il portait évidemment quelques bracelets plus ou moins clinquants mais à part ça (et ses tatouages qu'on pouvait du coup apercevoir), on aurait pu croire l'employé modèle. Bon, un employé modèle qui avait faillit rater l'appel de son supérieur hiérarchique puisqu'il était en train de chanter à tue-tête en prenant quelques notes sur le bloc à côté de lui, mais un employé modèle quand même ! La preuve, c'est qu'une petite demi-heure après le coup de téléphone de Lestrade, le blondinet se présentait à l'entrée du cimetière, continuant à siffloter la musique qu'il écoutait avant alors qu'il franchissait les grilles.

Que de vivants pour le monde des morts ! Ben n'allait jamais au cimetière. Il avait eu sa période gothique (vite abandonnée, un gothique qui rit tout le temps, ça faisait mauvais genre) mais passée cette expérience, il ne trouvait aucun intérêt à la compagnie des défunts. On avait dû l'y traîner une fois ou deux lorsqu' il était enfant, mais l'idée avait été vite abandonné quand après plusieurs heures d'angoisse, on avait fini par le retrouver planqué dans une tombe fraichement creusée, tout fier d'avoir trouvé, « la meilleure cachette du monde ». Non, Ben Tippin n'était définitivement pas un habitué des lieux, et c'est presque en touriste curieux qu'il aborda la question, furetant le nez en l'air quelques instants avant de rejoindre le petit groupe qui s'était assemblé près de la scène de la crime.

Contrairement à la plupart des gens, en tout cas des gens sains d'esprit, ce n'est pas sur le cadavre qu'il tiqua en premier mais sur la position de son chef, à genou le bouquet à la main. Espiègle, le jeune homme prit une pose grandiloquente, la main sur le cœur :

"Oooh chef, une demande en mariage dans un cimetière, c'est trop romantique, fallait pas !"

Depuis le coup du pari et des croissants durement gagnés, le blondinet avait de plus en plus tendance à faire tourner en bourrique le commissaire... mais plus fin psychologue (peut-être inconsciemment d'ailleurs, simple question d'instinct de survie) que ne l'aurait laissé songer ses tirades écervelées habituelles, il s'arrangeait toujours pour s'arrêter juste avant que Lestrade ne s'énerve vraiment. Un dernier sourire retenu en se mordillant la lèvre, Ben capta le regard d'Anderson, un des collègues avec lequel il s'entendait le moins, et il reprit son sérieux. Et même son professionnel, si si. Il avait déjà noté en arrivant que ses collègues débarquaient à peine puisque les agents étaient encore en train de monter le cordon de sécurité autour des lieux. Tout restait à faire à son niveau de compétence et il eut tôt fait d'enfiler la combinaison de protection qui lui éviterait de polluer la scène de crime, avant de suivre l'examen du légiste pour prendre les premières photos du corps.

"Vous avez déjà des idées, commissaire ?" Interrogea-t-il sagement en réglant son flash, évitant de poursuivre sa phrase par un "à part appeler le corbeau, évidemment", qui aurait été plus méchant que drôle. Mine de rien, Tippin avait du respect pour Grégory Lestrade. Il lui avait pourri secrètement quelques enquêtes en falsifiant les preuves ou en faisant remonter les infos, il aimait bien le charrier ou fantasmer sur lui dans les ascenseurs, mais il l'aimait surtout beaucoup et il ne tenait pas à le blesser. Le commissaire avait déjà suffisamment l'air triste comme ça, il préférait lui tirer des sourires, même s'ils étaient souvent blasés ou consternés par ses imbécilités.